Par Jonathan Hude-Dufossé, Directeur du Développement de Entourage.
"Jusqu’à début mars, je faisais partie d’une génération de fundraisers qui n’avait pas été directement confrontée aux crises financières, environnementales ou sanitaires. Je n’étais pas en emploi pour la crise de 2008 ou le tremblement de Terre en Haïti, en 2010. Quant à l’incendie de Notre Dame, l’association pour laquelle j’officiais n’avait aucun lien avec cet événement. Aujourd'hui, je pilote la levée de fonds d’une association qui vient en aide aux personnes SDF. Alors, maintenant que j’y suis professionnellement confronté, comment appréhender ma première crise de fundraiser ?
Pour Entourage, la réponse opérationnelle n’a pas été une option. Parce qu’on ne peut pas s’en sortir seul, la vocation d’Entourage est de redonner aux personnes exclues et isolées, notamment personnes SDF et sans abri, les réseaux de solidarité dont elles ont besoin pour retrouver confiance en elles, rebondir et trouver leur place dans la société. Alors, face aux mesures de distanciation sociale, un seul objectif nous a obstinés : continuer à les entourer malgré les contraintes du confinement. Les équipes ont été remarquablement engagées pour cela. Principalement composée de 'millennials digital natives', notre organisation était déjà convertie au télétravail et suffisamment agile pour adapter nos actions aux contraintes de la quarantaine (digitalisation de nos événements de sensibilisation et de formation) ou innover en mettant en place un nouveau programme, les Bonnes Ondes, permettant de maintenir proactivement le lien social et l’accès à l’information des personnes sans-abri grâce à des appels téléphoniques.
Cette réponse, nous avons choisi de l’apporter tous ensemble, en ne recourant pas à ce stade au dispositif de chômage partiel. Parce que c’est particulièrement maintenant que les personnes SDF ont besoin de nous, parce que c’est maintenant que le message de mobilisation citoyenne résonne et parce que nous avons confiance en nos financeurs pour nous aider à traverser cette crise. Instinctivement, nos partenaires sont d'ailleurs venus vers nous : "quel sera l’impact sur les personnes que vous accompagnez et sur votre structure ? De quoi avez-vous besoin ? Comment pouvons-nous vous aider ?". Depuis trois semaines, nous voyons se multiplier les mains tendues en notre direction : collectivités territoriales, fondations, entreprises, grands donateurs. Elles nous donnent une partie des moyens nécessaires à la poursuite de notre action sans pour autant être suffisantes.
Du côté du grand public, notre base de donateurs est assez jeune car nos campagnes sont à ce jour 100% digitales. Nous recrutons nos donateurs sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Lydia et bientôt… TikTok !). Davantage engagés auprès d’une cause qu’une organisation, ils sont assez volatiles. En conséquence, et sans programme donateurs jusqu’à début 2020, notre taux de rétention était faible, flirtant l’année dernière avec les 25%. En l’espace de 3 semaines, ce taux a plus que doublé et le réengagement dépasse désormais les 55%. Volatiles les Millennials, peut-être, mais réactifs en cas de crise !
Se pose aussi la question de l'après. En tant que fundraisers, il a fallu se rendre à l’évidence : après les aménagements tactiques, nous voilà désormais tenus de considérer des impacts de plus long terme, voire de repenser nos stratégies de développement des ressources. Prédire avec exactitude les répercussions de cette crise me semble complexe. Alors c'est collectivement que nous devrons nous interroger sur ce qu'elle aura laissé comme séquelles sur nos organisations mais aussi sur ce qu’elle aura généré d’opportunités. Sur la manière dont elle rebat les cartes de la société, des solidarités et de la générosité de chacun et pour tous."