La crise du Covid-19 sera-t-elle un « grand déclencheur » de la transition digitale des associations et fondations ? La réponse est « oui », pour Fred Fournier et Claude Pouvreau qui ont lancé il y a un an l’agence Mind me, positionnée en "fabrique du fundraising digital". Avec une acculturation un peu forcée de l’ensemble des Français – et donc aussi des directions du développement et des membres des conseils d’administration – à de nouveaux réflexes en ligne, la période est plus que propice à se lancer, durablement, vers des mix de collectes organisés autour d’un digital « coeur de réacteur ».
La progression du fundraising digital est intimement liée aux urgences et aux grandes crises, avec deux déclencheurs majeurs : l’attaque des tours jumelles à New York en 2001 et le tsunami en Asie du Sud-Est en 2004. Beaucoup d’autres crises, comme celle du séisme en Haïti en 2010, ont fait avancer les pratiques depuis, mais celle que nous traversons devrait être à nouveau un grand déclencheur. La raison ? Elle a forcé les donateurs, quelle que soit la génération à laquelle ils appartiennent, à adopter de nouvelles habitudes en ligne, et pas uniquement en matière de dons. La France s’est massivement mise à commander ses légumes en ligne, à gérer ses assurances en ligne, à communiquer avec ses petits-enfants en ligne… Au fil des semaines, les habitudes se sont ancrées, les freins ont cédé sous la contrainte et de nouveaux réflexes se sont installés. Quand on prend une habitude qui simplifie la vie, on revient rarement en arrière !
Les Français se sont aussi plus largement habitués à un nouveau ton, poussé par le digital, au fil de ces semaines : plus de transparence, des images imparfaites saisies via le téléphone portable, un storytelling qui relaie l’histoire en train de s’écrire, des marques et des médias qui se mettent à l’écoute et qui tâchent d’être plus « customer centric ». Cela aura aussi un impact sur la perception du digital dans son ensemble, et donc du fundraising digital, auprès de tous les Français, et par ricochet inévitablement au sein des conseils d’administration qui pouvaient rester réticents. Le confinement a révélé forces et faiblesses de chacun, et il a aussi mis en lumière les forces et faiblesses digitales des organisations non-profit. Direction du développement ou gouvernance de ces dernières ne peuvent plus l’ignorer et cette crise est donc un signal d’alarme très fort pour toute organisation qui n’a pas encore fait (ou initié) sa révolution digitale, qui n’a pas encore dépassé la vision d’un digital simple « canon à e-mails », ou du « volet » d’une campagne conçue d’abord pour le offline.
Un fundraising d’après très donor et digital-centric
Le « monde d’après » le confinement appelle à faire du digital non plus un élément complémentaire du mix, une simple déclinaison, mais le cœur de la mobilisation, sous peine d’en perdre 50 % de la force. Avec, derrière ce virage « fundraising », l’enjeu de la digitalisation globale des organisations. L’idée d’aller vers des associations et fondations où la direction digitale n’est pas en support des autres mais un cœur autour duquel l’ensemble s’agence, de la comptabilité à la gestion des projets ou des bénévoles et du fundraising, bien sûr. Est-ce à dire, pour autant, que le papier est mort ? Non. Le digital n’est ni une baguette magique, ni l’alpha et l’omega.
Le recours à la boîte aux lettres peut évidemment rester très pertinent. Tous les outils du mix le restent, d’ailleurs, s’ils servent une stratégie claire et « donor-centric ». Les parcours sont désormais le Graal et doivent s’organiser en partant du digital et en le complétant. Ce qui est en train de mourir, en revanche, ce sont les indicateurs de performance du mailing comme seule évaluation de l’efficacité du fundraising. Avec le digital, différentes notions s’imposent dans la construction d’une stratégie efficace : celle de lifetime value, la construction de parcours donateurs adaptés, l’importance du discours, des valeurs, de la transparence. Pour cela, il faudra faire des choix d’investissement en faveur du digital, que cela soit en recrutant des équipes, en formant les directeurs du développement – notamment à certains fondamentaux techniques – mais aussi en développant des infrastructures technologiques indispensables à la mise en oeuvre.
Parce qu’il n’est plus concevable, aujourd’hui, d’être un expert des ficelles du marketing direct et de continuer à « ne rien comprendre » au web. Parce que les organisations ont expérimenté, parfois dans la douleur, le risque et les limites de ne pas avoir été plus avancées sur le digital, l’importance d’équilibrer son mix entre online et offline, la période qui s’ouvre – qui sera de plus marquée par un accroissement fort de la concurrence – est plus que propice à pousser la transformation vers un « coeur digital ».
Pour les moins avancées, il s’agira peut-être juste d’acquérir les fondamentaux – à commencer par un module de don en ligne – et de se préparer pour 2021. Pour d’autres, petites organisations ancrées localement, notamment, le chemin passera peut-être, au départ, par des alliances et des campagnes communes que le digital facilite grandement. La bonne nouvelle, c’est que, s’il y a encore dix ou quinze ans, il fallait des investissements lourds pour entrer sur le terrain, aujourd’hui, plateformes et réseaux offrent des outils pour se lancer en optimisant les coûts. Mais cela ne sera qu’une première étape avant la construction de fondamentaux techniques, stratégiques, créatifs, de contenus et d’audiences. Alors ne reste que l’impératif d’avoir la volonté de s’engager. Avec pérennité.