Attache ta tuque, on decolle pour le Quebec ! Interview de Cerdric Bouquet, Directeur de la communication et du mécénat à l'institut Pasteur de Lille
Publié le 31 janvier 2022
Vous revenez tout juste d'un voyage d'étude au Canada durant lequel vous avez analysé le marché local de la philanthropie. Quels étaient les objectifs de votre mission ?
Je suis actuellement à Lille une formation de dirigeant d’entreprise au CEPI Management, comparable à un MBA, et j’ai profité du partenariat de mon établissement avec HEC Montréal pour me rendre avec cinq collègues de promotion au Québec afin d’étudier la philanthropie au Canada. Nos objectifs étaient d’identifier les tendances ainsi que les nouveaux outils de collectes et d’auditer des structures caritatives locales afin de connaître leurs relations mécènes et leurs stratégies de collecte. Nous avons également profité de ces trois journées pour recueillir des documents et repérer des modèles de campagnes de dons auprès des 13 organismes qui nous ont reçus dont le CHU de Montréal, la Fondation Cancer du sein du Québec, Philanthropia et la Fondation de l’Institut de Cardiologie de Montréal.
Quels enseignements avez-vous tirés de cette mission ?
La générosité est culturellement beaucoup plus ancrée en Amérique du Nord qu’en France. L’histoire et l’héritage religieux de cette région expliquent cela mais j’ai été très surpris par le décalage qui existe entre le Québec et le reste du Canada ainsi qu’entre le Canada et les Etats-Unis. Un de mes interlocuteurs m’a dit qu’une même opération récolte entre deux et trois fois plus de dons aux Etats-Unis qu’au Canada et le Québec est en retard par rapport au reste du pays. Dès l’époque de la Nouvelle-France, l’État et l’Église catholique ont joué un rôle important dans la société québécoise, un rôle beaucoup plus grand que dans les nations protestantes et libérales que sont depuis des siècles l’Angleterre, les États-Unis puis le Canada. Dans ces pays, l’absence de patrimoine d’Église et d’ordres religieux ainsi qu’une culture de méfiance envers l’État ont plutôt favorisé l’essor des initiatives individuelles. Au Québec, le bénévolat et l’entraide, les dons et la philanthropie, le sens de la responsabilité sociale, celui de l’engagement social et l’innovation sont influencés par une tradition d’implication collective et publique plutôt que par le laissez-faire des initiatives individuelles privées.
Concernant l’aspect culturel, il est à noter que, dès leur plus jeune âge, les enfants collectent des fonds pour des causes dans leur entourage, leur école ou leur quartier. La générosité est ancrée dans les mœurs. Il est ainsi bien vu de demander de l’argent pour une cause et pour le bien commun. La culture de la philanthropie est aussi très présente dans les entreprises avec généralement un service ou une personne dédiée à la philanthropie.
Le bénévolat occupe également une place très importante dans le pays. Le CHU de Montréal compte, à lui seul, près de 700 volontaires qui aident les patients et les visiteurs. Cela représente une énorme économie pour cet hôpital. Au Canada, 13 millions de personnes offrent bénévolement leurs temps et leurs compétences. La population donne, chaque année, plus de 14 milliards de dollars aux 170.000 organismes caritatifs et sans but lucratif du pays qui emploient 2 millions de personnes et représentent 8,1% du PIB. Mais comme en France, le nombre de donateurs est en baisse constante alors que le montant des dons progresse.
Les méthodes locales de collecte sont-elles différentes des nôtres ?
Le marketing direct reste le canal majoritaire pour les collectes grand public. Il est particulièrement très performant auprès des donateurs de plus de 55 ans. Les fondations tentent de pousser la collecte digitale. Le peer to peer est aussi très utilisé. Les structures organisent énormément d’événements et elles cherchent sans cesse à valoriser leurs grands donateurs. La Fondation Cancer du sein du Québec parvient chaque année à lever chaque année 1,3 million de dollars lors de ses 300 initiatives dont des tournois de golf, des raids motos et des ventes aux enchères. La Fondation Douglas pilote, elle, un challenge pour les entreprises. Des équipes de salariés s’affrontent les unes contre les autres afin de collecter des fonds. D’autres organismes cherchent à développer leur propre marque. La fondation Cancer du sein négocie, par exemple, des partenariats pour l’exploitation de son label « rose » en lien avec l’opération Ruban Rose. Le don par SMS semble abandonné par les structures que j’ai rencontrées. Les méthodes de récolte au Canada dépendent principalement de la stratégie suivie par chaque structure. La notion d’impact est toutefois très importante dans ce pays. Les donateurs et en particulier les plus jeunes d’entre eux veulent connaître l’impact de leurs dons et mesurer leur échelle de valeur. Durant cette mission, un exemple a retenu particulièrement mon attention. Le Comité Entraide, qui cherche depuis 1968 à aider les personnes en situation de vulnérabilité au Québec, adresse tous les ans à tous les fonctionnaires et aux retraités de la fonction publique des appels à dons en proposant notamment le prélèvement sur salaire, le virement ou la carte bancaire. Chaque année, cette structure lève près de 6 millions de dollars auprès de 50.000 donateurs et ces fonds sont reversés à 120 organisations. Rien de semblable n’existe en France à ma connaissance.