Charlotte Debray, déléguée générale de la Fonda répond à 3 questions :
 

En début d’année, l’AFF a publié une étude prospective sur l’avenir du fundraising et des fundraisers à l’horizon 2033. Quelle est, selon vous, l’importance d’un tel document ?

Cela fait bien longtemps que la Fonda utilise des outils de la prospective et nous sommes ravis de voir d’autres structures adopter cette approche qui permet de croiser les regards et d’imaginer tous les futurs possibles, pour mieux construire celui qu’on souhaite voir advenir. C’est un formidable outil pour susciter des prises de décision. La prospective ne consiste pas à prédire l’avenir mais à réduire les incertitudes et à anticiper ce qui pourrait nous arriver afin de mieux s’y préparer et de mettre en place les stratégies adéquates. Faire ce type d’étude sur les dix prochaines années me semble également être le bon horizon car cela permet de s’extraire des contingences du présent et imaginer l’avenir sur les vingt ou trente années à venir ressemblerait davantage à de la science-fiction. Dix années permettent de partir du présent et d’accentuer un certain nombre de tendances afin d’émettre des hypothèses qui ne sont pas enfermées par notre quotidien. Un tel horizon aide à ouvrir les chakras sans être hors-sol.

 

Quels principaux points ont retenu votre attention durant la lecture de cette étude ?

J’apprécie tout d’abord le fait que cet exercice ait été fait avec beaucoup de sérieux et dans les règles de l’art. Sa logique participative a aussi énormément d’intérêt car elle permet aux gens de s’approprier les analyses et de les mettre en pratique.

L’autre fait qui a retenu mon attention est l’environnement concurrentiel dans lequel vit le secteur de l’intérêt général. Ce sujet nous obsède à la Fonda. Les mécènes et les bailleurs de fonds publics organisent de plus en plus d’appels d’offres et de concours avant de décider quelles structures soutenir. Cette concurrence est, selon nous, délétère. Nous avons aujourd’hui davantage besoin de coopération que de compétition. Cette course de l’impact social n’est pas bonne. Les défis sociaux et écologiques qui sont devant nous appellent à davantage travailler ensemble même si j’ai bien conscience que c’est plus facile à dire qu’à faire.

On retrouve cette notion dans le scénario 4 de l’étude de l’AFF intitulé « Un fundraising moteur de coopérations au service des communs ». J’ai toutefois été étonnée de constater que cette hypothèse soit celle qui obtienne le taux de probabilité le plus bas. C’est peut-être ma nature optimiste qui me pousse à dire cela mais je trouve qu’il existe aujourd’hui une véritable appétence en faveur de la coopération. On le voit dans le secteur de la générosité mais aussi auprès des autorités publiques avec des initiatives comme celles de France Travail. La volonté de mieux coopérer est là mais les méthodes pour y arriver ne sont pas encore acquises.

La dernière chose que je retiens de la lecture de l’étude prospective est la fragmentation croissante des engagements. Nous avons vu durant la pandémie se créer un formidable élan de solidarité qui s’est essoufflé très rapidement. Les donateurs et les bénévoles veulent, aujourd’hui, rapidement voir les conséquences de leurs engagements. Beaucoup d’associations se plaignent du recul du bénévolat mais le Secours Populaire est, lui, parvenu à attirer 8000 bénévoles supplémentaires en deux ans car ces derniers peuvent constater immédiatement les effets de leurs actions. Face au sentiment grandissant d’impuissance, ces formes d’engagement redonnent du pouvoir d’agir. Beaucoup ont l’impression que leur bulletin de vote n’a plus aucun effet sur leur quotidien alors ils cherchent à reprendre ce pouvoir dans leurs élans de générosité.

 

Quels sont les autres thèmes que vous auriez souhaité voir dans cette étude ?

Cette étude n’est pas très politisée au sens noble du terme. La notion de société équitable, responsable et solidaire n’apparaît dans aucun scénario. Le métier de fundraiser a du sens. Derrière le fundraising, on retrouve les notions d’intérêt général, de paix et de démocratie. Il est intéressant de constater qu’en France aucun acteur ou fondation ne s’engage sur le terrain politique et les progrès démocratiques. Ces sujets sont considérés comme étant trop critiques et sensibles. Beaucoup pensent que nous vivons dans une démocratie qui fonctionne même si beaucoup d’observateurs européens ne partagent pas forcément cet avis. Les récentes attaques contre la liberté d’association et le droit de manifester devraient nous alerter mais rares sont ceux qui se posent des questions concernant ces problèmes. Il serait peut-être temps de secouer ce cocotier…