3 questions à… Noémie Wiroth
16 février 2023
3 Questions à Noémie Wiroth, Consultante en prospective, qui a coordonné l’étude prospective « Avenir du fundraising et des fundraisers à l’horizon 2033 » publiée par l’AFF.
En inscrivant dans ses statuts sa nouvelle raison d’être qui est d’« œuvrer pour un monde en meilleure santé », Doctolib est devenue, le 30 janvier, une entreprise à mission. Depuis l’introduction de la loi Pacte en 2019, plus de 360 sociétés françaises ont choisi de franchir le même cap. Les lignes entre Profit vs Non profit sont de plus en plus brouillées aujourd’hui dans les entreprises. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Au-delà du sujet des entreprises à mission, l’étude prospective que nous avons menée pose la question plus large de l’évolution l’engagement des entreprises dans les enjeux d’intérêt général, qu’il soit contraint par la réglementation, ou qu’il soit volontaire. La loi Pacte a l’avantage de permettre d’inscrire durablement cet engagement dans les modèles de développement des entreprises . Mais avec tout juste 360 entreprises à mission, on parle encore d’un épiphénomène dans un pays qui abrite plus de 4 millions de sociétés. C’est toutefois un signal intéressant qui confirme que les lignes entre Profit et Non profit sont en effet de plus en plus floues. Plusieurs facteurs poussent en ce sens. Les contraintes environnementales à l’encontre des entreprises sont de plus en plus strictes et contraignantes. Les attentes des consommateurs et des salariés en matière de RSE ne cessent, elles aussi, de croître. Cela fait une quinzaine d’années que cela monte doucement, que régulièrement on a vu des publicités dont on pouvait se demander si elles promouvaient les produits d’une marque ou une ONG. Le phénomène s’est accéléré durant la pandémie.
Ce floutage des lignes entre Profit et Non profit va-t-il encore s’intensifier dans les années à venir ?
De nombreuses études convergent sur le fait que les entreprises prévoient de faire évoluer leur modèle afin de mieux respecter les enjeux d’intérêt général : on sembla avoir affaire à une tendance lourde. La question est de savoir à quelle puissance et sous quelles formes vont apparaître ces changements, jusqu’où l’engagement va être intégré, et l’impact que cela aura sur la générosité des entreprises. Trois hypothèses ont été formulées dans notre étude sur le fundraising en France à horizon 2033. La première envisage un paysage de l’engagement diversifié où, dans dix ans, 10% des sociétés (hors microentreprises) adoptent un modèle « à mission » ou incluant le partage, tandis que le mécénat plus classique continue de se développer, soit en lien avec les enjeux RSE, métier ou territoriaux, soit dans le cas de crises. Il pourra être plus souvent collectif (alliances de mécènes) et offrir davantage de possibilités pour les salariés de s’engager, notamment au sein des projets développés par les fondations des entreprises les plus avancées. La seconde hypothèse envisage un engagement plus fortement intégré, avec environ un quart des entreprises revendiquant une mission incluant des objectifs sociétaux. Dans cette hypothèse, le mécénat plus classique pourrait perdre en puissance. Cette montée en technicité et en profondeur de l’engagement des entreprises s’accompagnera d’exigences fortes de reporting et d’impact vis-à-vis des partenaires non profit qui devront apprendre à coproduire des projets avec les entreprises. La dernière hypothèse envisage les effets d’une crise économique et/ou politique durable. Pour préserver l’emploi ou répondre à des enjeux de souveraineté nationale, certaines obligations réglementaires pourraient s’alléger notamment au regard des ambitions environnementales. Les entreprises les plus touchées pourraient alors largement restreindre leur engagement volontaire voire même abandonner leurs leviers de collecte auprès de leurs clients ou de leurs salariés.
Comment le fundraising et les fundraisers peuvent-ils s’adapter à ces changements possibles ?
Ils doivent se préparer aux trois hypothèses que je viens d’énoncer. Et quelle que soit ce que l’avenir réserve véritablement, il semble que les fundraisers vont devoir être capables de coopérer plus étroitement avec les entreprises. Même si les gouvernances ont parfois du mal à accepter ces liens plus étroits, les partenariats avec les sociétés doivent être renforcés et les stratégies autour de ces mécènes être plus sophistiquées. Les structures d’intérêt général doivent, dans le même temps, prendre garde de ne pas tout miser sur les entreprises. L’ensemble de l’étude appuie l’idée que diversifier ses modèles de fundraising est, plus que jamais, nécessaire pour ne pas dire essentiel. L’adage est bien connu : il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier.
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