Consultante britannique spécialisée dans la transformation des modèles économiques associatifs, Leesa Harwood a jeté un pavé dans la mare des charities il y a quelques semaines en évoquant, lors d’une conférence en ligne, certaines gouvernances « en abandon de responsabilité », se déchargeant sur les fundraisers de l’impératif d’arranger les choses face à la crise (lire le compte-rendu de Third Sector, en anglais). Entre injonction de redresser les collectes, de répondre aux objectifs posés avant la crise, voire à de nouveaux besoins, et trésorerie plus serrée que jamais, comment ne pas devenir le seul fusible d’une organisation en crise ?

Ce n’est pas parce qu’on pose un objectif de collecte sur un morceau de papier qu’il va inévitablement, par magie, se réaliser. Surtout si l’on vit au-dessus de ses moyens… La trésorerie n’est pas une réserve isolée et déconnectée de la structure. C’est un flux, on dit d’ailleurs cash-flow, en anglais, qui traverse l’organisation de bout en bout, du donateur au bénéficiaire. Et pourtant, nombre d’associations se structurent en silos verticaux, perturbant le flux à chaque étape. En d’autres mots, nous structurons et planifions par fonction et non par flux.

Quelques frustrations naissent de cette organisation :

• il n’y a souvent pas de supervision holistique et de bout en bout des flux de trésorerie au niveau opérationnel et pas non plus de vision d’un modèle de financement stratégique, qui intègre le risque, et fasse correspondre les sources de revenus et dépenses, qu’on parle de l’horizon, de la priorité ou de la nature (affectés ou non) de ces engagements ;

• les fundraisers ont donc toutes les difficultés du monde à projeter des plans de développement à long terme, car il n’y a pas de mise en lien directe entre « l’argent qui rentre » et « l’argent qui sort », et ils se retrouvent souvent à bricoler a posteriori des appels à financement court-termistes pour coller à des budgets déjà en place ;

• la façon dont les organisations mènent leurs missions n’est pas non plus conçue pour optimiser le potentiel de financement puisque les fundspenders, responsables des activités de terrain, ne conçoivent pas les projets à financer avec les fundraisers. Alors que, parfois, de petits ajustements aux calendriers, à l’échelle ou aux mesures d’impact du projet pourraient optimiser la collecte sans compromettre la mission.

Cet ensemble de frustrations finit par générer des tensions, voire des conflits entre ceux qui dépensent l’argent et ceux qui le collectent. Et les fundraisers finissent par être aussi ceux qui gèrent seuls les symptômes d’un problème qui concerne en réalité les deux extrémités du flux de trésorerie. Lorsque les choses sont difficiles, lorsque les flux sont compromis, l’organisation se tourne souvent vers eux, exigeant des collectes plus importantes, au lieu de se pencher sur ces deux extrémités, faisant ainsi souvent du fundraiser la seule « variable d’ajustement » du système…

Sortir de l’impasse

Pour tenter de changer la dynamique, voici quelques solutions à soumettre à votre gouvernance (et à vous-même).

• Une structuration par fonction appelle une planification par flux (ou vice versa), mais il faut absolument éviter de doubler les silos structurels de silos fonctionnels.

• Demandez à être impliqué à chaque étape de la planification financière, du niveau le plus stratégique au plus opérationnel. Devenez un « fundraiser embarqué » dans les process, les budgets, les réunions projets. Avoir un fundraiser physiquement assis au milieu d’une équipe aide à faire de lui un vrai business partner, créant de la valeur et comprenant les enjeux à l’autre extrémité du flux.

• Écrivez absolument votre business model avec votre directeur financier. Et gardez à l’esprit la difficulté supplémentaire d’une association par rapport à une entreprise classique de la même taille : quand l’entreprise trouve comment générer de la valeur pour son client, son moteur économique en découle assez naturellement. Quand une association trouve comment créer de la valeur pour ses bénéficiaires, elle n’a pas pour autant trouvé son moteur de financement. Il lui reste encore à créer de la valeur pour le donateur, puis à trouver comment lier ces deux valeurs.

• Créez aussi avec les équipes de terrain des plans de financement ajustables : identifiez avec elles les coûts fixes et les coûts variables, les priorités absolues, les pans secondaires. Si la situation se tend et que le flux se ralentit, il y aura des options de gestion du risque à l’autre extrémité du flux, et pas seulement à celle des ressources.

Derrière ces conseils opérationnels, il y a une vision à ancrer : si directeur financier et directeur du Fundraising doivent avoir des stratégies totalement intégrées et complémentaires, la stratégie de fundraising doit servir la stratégie financière et l’organisation du modèle de financement, et pas l’inverse. Sinon, c’est le monde à l’envers, ou, selon l’expression anglaise, c’est « la queue qui remue le chien » ! Et c’est alors que toute l’organisation se tourne vers les fundraisers, devenus l’unique variable d’ajustement pour régler des problèmes de trésorerie…