Menaces sur la fiscalité : de la mobilisation à l’invitation à la réflexion

Difficile d’échapper à l’article du Parisien de ce début d’été qui révèle les grandes lignes d’un rapport de Bercy se penchant sur divers levier pour « trouver un à trois milliards d’euros dans les dépenses publiques à destination des associations » rapporte le quotidien. Parmi les mesures étudiées et largement commentées : des changements de taux ou de plafond pour les déductions fiscales des dons aux organismes d’intérêt général ou d’utilité publique.

Concrètement, les mesures fiscales à l’étude concernent la possibilité de baisse du taux majoré de 75% pour les dons aux associations d’aide aux personnes en difficulté (ramené au taux général de 66%), la révision du plafond de déductibilité du don sur l’IR (aujourd’hui 20% du revenu imposable qui pourrait être placé de manière fixe à 2.000 euros) ou encore l’évolution de la déductibilité sur l’IFI (réduction d’impôt à 75% dans la limite de 50.000 euros, ramenée à 50% et plafonné à 20.000 euros).

Face à ces ombres planant sur la fiscalité associée au don, la Coalition Générosité, dont l’AFF est membre, s’est fortement mobilisée, publiant notamment un communiqué s’opposant fermement à l’ensemble des mesures en plus de rendez-vous et échanges intensifs. Une mobilisation payante rapporte Carenews avec des promesses de stabilité faites par le Premier Ministre François Bayrou pour le PLF2026.

Pour l’an prochain oui, mais après ? Cette question de la fiscalité des dons revient fréquemment sur la table des débats publics. Et le mouvement ne concerne pas que la France. En Belgique, le couperet est tombé avec une baisse de la déductibilité des dons de 45% à 30% (voir notre veille d’avril ici ou pour les adhérents notre décryptage dans le dernier numéro de Fundraizine). Aux USA, ce sont les plafonnements dons des entreprises qui sont soumis à l’examen du Sénat.

Certes, l’ombre s’est éloignée chez nous, et même les auteurs du rapport de Bercy reconnaissent les limites des solutions étudiées : au-delà des spéculations sur l’ampleur mathématique des baisses des dons, elles pourraient « avoir un effet psychologique négatif et désinciter des contribuables à donner », rapporte encore le Parisien. Sur la fin du taux de 75% ils notent également le risque concentré « sur certaines associations dont les modèles économiques peuvent être fortement dépendants des dons« .

Alors pourquoi ne pas profiter de l’été pour nous interroger, en tant que fundraisers, sur notre propre dépendance, non pas au don, mais à ces taux de déductions. Pourquoi ne pas nous demander si nous n’en parlons parfois pas trop ou de la mauvaise manière, au détriment de créer de l’attachement à nos causes, de l’engagement varié… Se libérer un peu du discours fiscal, pour libérer autrement les dons.

La jeune philanthropie invite à ouvrir ses leviers d’engagement

Que veut faire la « rising génération » de sa fortune ? Comment les plus aisés des 18-25 ans voient-ils la philanthropie ? Réputés plus engagés, plus sensibles à l’environnement, et possiblement plus généreux, les jeunes philanthropes (ou ayant les moyens de l’être) ont été sondés par la société de gestion de fortune suisse Pictet Wealth Management sur leurs aspirations pour changer le monde lors d’ateliers réunissant 150 d’entre eux.

Comme le rapporte dans allnews.ch Christophe Courth, à la tête des services philanthropiques de Pictet, cette « rising generation » rompent avec de nombreux codes de leurs ainés. Ils sont en effets plus enclin à soutenir les causes environnementales ou la lutte contre les inégalités, plus que l’éducation ou les arts. Ils sont aussi en quête de plus d’efficience : dons moins affectés basés sur la confiance, professionnalisation des approches, soutien à l’innovation pour générer des changements systémiques plutôt que des approches d’aide à court terme, action collaborative avec d’autres acteurs, financements mixtes public privé… Qu’importe le flacon semble-t-il pourvu qu’on obtienne le changement.

Car c’est cette vision transformatrice qui semble guider, dans leurs déclarations tout au moins, leur action. Une quête d’impact peut-être pas si différente des ambitions des générations précédentes, mais qu’ils envisagent avec une approche globale de leur pouvoir d’influence. Interrogés sur les leviers les plus efficaces pour l’exercer, les participants ont ainsi d’abord cité leurs entreprises à 44%, devant leurs investissements à 41% et la philanthropie à seulement 25%. D’ailleurs, de nombreux participants réfutent le positionnement de «philanthrope» se reconnaissant plutôt comme «activiste», «entrepreneur social», «investisseur social» ou «agent du changement».

Alors que le Directeur des Services Philanthropiques de Pictet conclut en tire en conclusion les conséquences pour son métier « il faut une gestion plus consciente et responsable de la fortune, le but n’étant pas simplement de la faire fructifier, mais de l’employer à bon escient afin de contribuer au changement », à nous fundraisers, acteurs nous-mêmes du changement, d’en tirer également les conclusions pour nos métiers.  De réfléchir aux manières d’accueillir pleinement, et avec des leviers d’engagement variés, ces jeunes pressés de changer le monde. Même s’ils peuvent nous bousculer.

Pour nourrir votre réflexion, à lire aussi « The Old Model of Billionaire Philanthropy Is Ending » sur le site de Bloomberg ou comment les milliardaires des Big Tech envisagent leur contribution au changement social.

Faut-il assumer dans ses messages les clivages politiques de ses donateurs ?

Le fundraiser se conçoit souvent comme un rassembleur, un mobilisateur d’énergies et de dons venant d’horizons variés. Mais dans un monde qui se polarise et où tout devient aussi politique que polémique, comment garder des messages d’appel au don, souvent eux-mêmes politiques, sans perdre la moitié de ses soutiens ? Trois professeurs de marketing de l’EDHEC Business School et de l’IESEG School of Management se sont penchés sur l’épineuse question de la générosité au prisme du positionnement politique : selon que le donateur est « conservateur » ou « progressiste ».

Derrière le choix de cette segmentation, certainement la volonté de sortir de sémantique du clivage droite-gauche, qui renvoie aux logiques partisanes en France, pour se concentrer sur une conception plus globale du clivage : les conservateurs (usuellement à droite) et les progressistes (ou libéraux, à gauche). Les premiers « considèrent que l’être humain est fondamentalement individualiste, que la vie en société requiert des structures et des règles régissant la liberté de chacun » tandis que les autres « estiment que chacun doit être libre de poursuivre son propre développement, et que la société doit être organisée dans un souci de justice sociale », notent les auteurs.

Une fois cette distinction établie au sein de leurs échantillons via une série de questions (rapport à l’autorité, aux lois, etc.), les enseignants ont testé sur leurs échantillons des messages de collecte tournés soit vers l’évitement d’un danger, soit vers la quête de changement social. Résultat sans appel : les conservateurs répondent mieux aux messages invoquant l’évitement d’un danger ou la résolution d’un problème (ex. « Votre don nous aidera à protéger l’environnement ») tandis que les progressistes sont beaucoup plus enclin à donner en réponse à des messages de progrès et de changement optimistes (ex. « Aidez-nous à créer un monde plus vert »).

Si d’autres tests concernent des causes différentes (par exemple préférence pour les associations locales des conservateurs vs appétence accrue pour les causes internationales des progressistes), ce premier pan d’études invite à regarder la différentiation politique de ses messages comme les deux faces d’une même pièce, à jouer en fonction de l’orientation des donateurs. Une segmentation à tester cet été ?

L’article complet « Conservateur ou progressiste : quel type de donateur êtes-vous ? » est à lire sur le site de The Conversation.  

Et aussi dans l’actualité de la quinzaine

  • Protester en toute tranquillité. Opération d’affichage pirate, impactante et originale, pour Greenpeace UK, qui placarde des manifestants sur des panneaux publicitaires, donnant l’illusion qu’ils sont dans la rue dudit panneau, pour dénoncer les attaques sur la liberté de manifester au Royaume-Uni. A lire sur Influencia
  • Envoyer DON au… AF2M et France générosités publient la nouvelle édition de leur Baromètre du don par SMS. Un canal porteur, selon l’étude, qui – outre les sollicitation d’urgences ou lié à des grandes émissions TV – a notamment progressé en lien avec les campagnes nationales des grandes associations… ou des plus petites !
  • Horriblement efficace. Vendre des « costumes » pour les personnages d’un jeu vidéo d’horreur pour financer un hôpital canadien ? Une drôle d’idée et une bonne surprise pour la Fondation CHU Sainte Justine qui a ainsi reçu 100.000 euros, et touché un tout nouveau public. A lire sur Le Devoir

Cette veille a été publiée dans notre newsletter du 17 juillet. Pour recevoir directement nos prochaines interviews, articles de veille, pensez à vous inscrire à la newsletter de l’AFF. C’est une manière simple de rester connecté à l’actualité du fundraising.

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