Octobre rose, Giving Tuesday, Dry January, etc. : le calendrier de la générosité s’emballe ! Tout au long de l’année, le grand public est sollicité pour contribuer à des campagnes collectives en agissant, en relayant, en donnant. Le principe est simple : fédérer le plus grand nombre. Mais comment utiliser ces caisses de résonance sans se noyer dans la masse ?

 

 

L’année commence sec avec Dry January… une campagne collective tout juste arrivée en France qui incite à rester sobre pendant trente jours. Puis viennent Février sans supermarché, Mars bleu, Octobre rose, Movember, ou encore Giving Tuesday qui ouvre, début décembre, le mois de la générosité de fin d’année ! Telles des marques ombrelles, ces campagnes se multiplient, ces dernières années, pour attirer l’attention autour d’une cause, au-delà des frontières institutionnelles. Bref, l’objectif est de créer une caisse de résonance pour inciter à agir ensemble avec divers buts : sensibiliser ou faire du plaidoyer sans ambition de fundraising, créer un mouvement fédérant des initiatives de collecte…

Ou faire les deux en même temps comme Giving Tuesday, dont le message est : peu importe pour qui ou comment, mais soyez généreux ! Un levier qui a permis – pour la deuxième édition française de l’opération le 3 décembre 2019 – de rassembler plus de neuf cents organisations et individus et de toucher près de six millions de personnes sur Twitter. Sur le réseau, #GivingTuesdayFr a réussi à être le troisième sujet de conversation de la journée en France. En ajoutant les chiffres des soixante pays participants, le modèle statistique développé par le mouvement estime à près de 2 milliards de dollars les sommes collectées via l’opération en 2019 et à vingt milliards le nombre de personnes touchées via Twitter. Sans compter les autres réseaux sociaux.

La marque est morte, vive la marque !

Le mot est lâché. Les réseaux sociaux sont un outil indispensable à la réussite de ces campagnes d’un genre nouveau. Jusqu’à récemment, le marketing dictait le message et contrôlait sa diffusion. La marque était l’élément fort de la stratégie marketing, reconnaissable grâce à ses valeurs et à ses objectifs clairs. Aujourd’hui, les consommateurs ont leur mot à dire, sur les réseaux sociaux entre autres. Il en est de même pour les donateurs. Ils sont informés, exigeants, éduqués, voire experts. Ils s’emparent des causes et s’approprient leurs campagnes à leur manière. C’est justement là-dessus que misent les campagnes collectives, avec quelques règles du jeu à respecter.

 

« Il faut accepter d’être dépossédé, estime Christophe Leroux, directeur de la Communication et du Développement à la Ligue contre le cancer. Aujourd’hui, le fundraising est fait par des tiers, et la tendance s’accentue. Plus nous serons fermes dans nos valeurs et notre territoire de marque, clairs dans nos actions, précis dans la restitution, et mieux ce sera pour les donateurs. Les réseaux sociaux nous obligent à être en permanence transparents, honnêtes et disponibles. » Et à instaurer une nouvelle forme de partenariat, rendue possible grâce à des outils open source mis à disposition des personnes mobilisées. Site internet avec banque d’inspiration, hashtags, tweets, Instagram, page Facebook : la campagne Giving Tuesday met à disposition tous ces outils pour ceux qui sont prêts à s’engager le jour J.

Garder en vue le message de fond

Revenons un peu en arrière. Les premières campagnes dites « collectives » sont apparues aux États-Unis dans les années 1980. C’est le cas d’Octobre rose, soutenue par l’American Cancer Society et une entreprise privée, Imperial Chemical Industries. En France, le concept est repris par Esthée Lauder qui crée l’association Le Cancer du sein, parlons-en ! et par le magazine Marie-Claire. Le message d’Octobre rose étant ciblé sur le dépistage du cancer du sein, la Ligue contre le cancer rejoint le mouvement. Comme l’explique Christophe Leroux, au départ, Octobre rose se limite à ce message de santé publique. Puis les différents acteurs de la campagne américaine y trouvent des opportunités de levée de fonds (événements solidaires, produits dérivés, etc.).

Très vite, ce modèle s’exporte en France, parfois à l’excès. En 2014, la Ligue contre le cancer dénonce le Rose washing tout en en profitant pour revenir au message de fond : le cancer du sein mobilise la communauté des femmes autour d’une pathologie grave qui les précarise, mais des solutions existent. Ce discours positif mobilise donateurs et ambassadeurs, et l’association fait le choix d’augmenter sa présence au moment d’Octobre rose. Les partenariats avec les entreprises se nouent à la condition qu’elles acceptent de diffuser le message de santé publique, voire politique.

Harmoniser les postures

Pas de collecte pour une campagne comme Dry January. Ici, la cause est avant tout une affaire de comportement : personne et tout le monde, potentiellement, est concerné. Chacun réagit à l’incitation à arrêter de consommer de l’alcool, injonction en fonction de sa posture au regard de la boisson : participer (ou essayer), relayer, ou ignorer. Et ici, la mobilisation collective se joue plutôt entre les diverses organisations participant au mouvement. D’autant que tout le monde n’aurait pas vu d’un œil bienveillant l’arrivée de cette opération anglo-saxonne au pays du vin, confirme Bernard Basset, président de l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA): «L’objectif est de toucher la population générale. Il s’agit d’évaluer son rapport à l’alcool en dehors de toute situation de dépendance. Nous avons intérêt à avoir un langage commun, car nous sommes face à des lobbies très puissants. Si nous pouvons adapter notre langage en fonction de nos identités respectives, l’unité des objectifs de la campagne doit rester ». La campagne Dry January française (initialement traduit « Mois sans alcool ») devait en effet, au départ, être menée par l’agence nationale Santé publique France. Mais sa participation a finalement été annulée faute de soutien de l’Élysée… et sous la pression de l’industrie viticole ? Les associations qui interviennent dans le champ des addictions s’emparent alors de l’initiative. Rebaptisée « Défi de janvier », « C’était une opération de mobilisation sociale », ajoute Bernard Basset. Et de constater que, malgré (ou grâce à) la polémique et la forte actualité du mois de janvier, les médias traditionnels se sont faits le relais du message de fond de la campagne. En cela – si ce n’est dans le décompte du nombre de jours d’abstinence tenus pour certains ! – la campagne est un succès.

 

Article initialement publié dans Fundraizine 61 – Printemps 2020.
Depuis cette publication, en juin 2020, l’association Le Cancer du sein, parlons en ! a changé de nom et d’identité visuelle pour devenir Ruban Rose.