C’est un peu le rêve américain version fundraising : la page Facebook de collecte d’une famille qui ambitionnait de récolter 1500$ engrange finalement plus de 20 millions de dollars de dons. Magie de l’instant ou miracle reproductible ?

Cela commence comme une banale histoire de solidarité. Mi-juin, extrêmement émus par la photo d’une petite fille hondurienne en larmes lors d’un contrôle de police à la frontière entre les USA et le Mexique (« parce qu’elle fait exactement la même tête que notre fille du même âge » expliqueront-ils ensuite dans de nombreuses interviews), Charlotte et Dave Willner lancent une cagnotte sur Facebook. Objectif de collecte : 1500$ pour « réunir une famille » car cette somme représente le prix de la caution de parents en situation illégale séparés de leurs enfants.

Une semaine après son lancement, la collecte a engrangé 10 fois plus que l’ambition initiale : 15 millions de dollars. Aujourd’hui, elle dépasse les 20 millions de dollars, collectés auprès de 530.000 donateurs. Elle est toujours ouverte, avec un objectif de campagne à 25 millions de dollars, mais ne croit désormais plus que d’une centaine de milliers d’euros par jour. L’heureux bénéficiaire de cette manne c’est RAICES, association texane spécialisée dans l’aide juridictionnelle aux migrants. Avec cet argent, elle s’est engagée à payer ces fameuses cautions pour permettre aux parents de retrouver leurs enfants en attendant leurs jugements, mais aussi d’assurer la représentation légale des enfants dans les tribunaux du Texas.

Selon Facebook, cette collecte est la plus importante jamais réalisée depuis que le réseau a commencé à mettre en place des outils de fundraising (en 2015 aux USA, accessibles depuis novembre dernier en France). Et pour les fundraisers elle interroge : est-elle reproductible ? Probablement. Mais en l’espèce, la collecte de fonds des Willner a bénéficié d’un contexte particulièrement propice.

La politique de « Tolerance Zéro » sur l’immigration instaurée par l’administration Trump mi-avril, et qui a résulté dans la séparation de plus de 2300 enfants d’avec leurs parents, a généré une levée de bouclier particulièrement virulente aux Etats-Unis. Et peu avant que cette page Facebook n’apparaisse, diverses personnalités avaient déjà annoncé des dons importants à des organisations procurant une assistance juridique aux familles séparées. Posant ainsi le don comme un acte de résistance à la politique Trump.

Diverses autres organisations ont d’ailleurs bénéficié du contexte, notamment l’American Civil Liberties Union (ACLU), qui a collecté 2.5 million de dollars en ligne mi-juin, après que le couple de célébrités Chrissy Teigen et John Legend aient chacun donné 72.000 dollars à l’association en l’honneur du 72ème anniversaire de Donald Trump. « Nous avons aussi eu plus de 200 personnes qui ont lancé des campagnes de collecte peer to peer sur notre site Internet » expliquait le Directeur du Développement de ACLU à l’Associated Press.

Mais pourquoi aucune de ces 200 pages – au départ similaires – n’a égalisé celle des Willner ? Pourquoi aucune organisation n’a réussi à mobiliser à ce point ? Pourquoi en Europe, la photo du petit Aylan, enfant syrien retrouvé sans vie sur une plage de Méditerranée en 2015, n’a-t-elle pas réussi à générer un élan du même type ? Pourquoi, aujourd’hui, alors que l’Europe se déchire encore sur cette question des migrants, n’y a-t-il pas vraiment d’organisation qui réussisse à mobiliser en masse les donateurs ? Il faut se résoudre à accepter la part de mystère de la viralité. Mais ne pas renoncer pour autant à se préparer à la créer : être présent sur les réseaux sociaux, entretenir la conversation, acculturer donateurs, bénévoles ou supporters aux mécanismes du peer to peer.

Se préparer aussi à assumer un éventuel succès. Pour RAICES, cette collecte a été une surprise inouïe. « Nous fondons régulièrement en larmes en regardant le total des sommes collectées« , affirmait l’organisation dans un message de remerciement sur son compte Facebook. Mais au-delà des rentrées d’argent inespérées, il lui a fallu saisir le train au vol. Gérer les attentes à la hauteur de la collecte et l’afflux massif de questionnements, rendre très rapidement des comptes sur l’usage de l’argent (elle a notamment organisé un Webinar au pied levé sur le sujet), engager des avocats, etc. C’est le revers du mystère.

 

Image : JOHN MOORE/ GETTY IMAGES / AFP