Bénévolat et confinement : que restera-t-il de l’élan d’engagement ?
15 octobre 2020
L’étude La France bénévole, publiée en mai 2019 par l’association Recherches et Solidarités, montrait que 30 % des 20 millions de Français qui n’avaient pas encore donné de leur temps pour les autres ne l’avaient pas fait parce que « l’occasion ne s’est pas encore présentée ». Et 28 % affirmaient qu’ils franchiraient le pas si « un événement majeur ou de graves difficultés se présentaient ». En mars 2020, cette occasion s’est (malheureusement) présentée… Une crise sanitaire sans précédent bloque le pays et fait exploser le nombre de personnes en situation de précarité. Un mouvement de solidarité massif vient frapper aux portes des associations. Et s’il est bien difficile à ce jour de tirer des conclusions définitives de cette période inédite, des tendances se dessinent sur ce qu’il pourrait en rester demain.
« Au travers de notre expérience d’autres situations d’urgence, comme le tsunami de 2004 par exemple, nous savons qu’il reste toujours quelque chose de ces périodes de forte générosité », affirme Thierry Robert, secrétaire général du Secours Populaire. « Les gens découvrent le bénévolat, et que ce n’est pas si compliqué de s’engager. Ils dépassent leurs préjugés sur cette forme d’engagement, notamment concernant le temps que l’on peut y consacrer. Ils réalisent qu’ils peuvent participer sans être là tous les jours. Le déferlement de la précarité va être terrible, mais le côté positif de cette crise est que certains ont pu se découvrir cette générosité envers les autres ».
De l’élan à la prise de conscience
Le témoignage d’Arnaud Poincelet, Chargé de projet bénévolat au Secours Catholique, va dans le même sens. » L’engagement bénévole n’est pas nouveau en France. Mais depuis dix ans, il se renouvelle avec l’arrivée de personnes plus jeunes, en quête de sens et d’un autre rapport à l’autre. Ce renouvellement va se poursuivre. La crise que nous connaissons révèle notre fragilité et notre besoin de solidarité ». ll y a certes des motivations spécifiques liées à cette situation de confinement : l’envie « d’en être », voire ce qu’Arnaud Poincelet appelle le » syndrome du héros ». Faire du bénévolat a aussi été un moyen pour certains de casser l’isolement dans lequel ils se retrouvaient et d’avoir le plaisir de sortir pour la bonne cause. L’engagement leur a permis de découvrir des situations dont ils n’avaient pas idée et qu’ils ne peuvent plus ignorer…
C’est même « d’état de choc » que parle Bruno Dumas, responsable du pôle Bénévolat aux Restos du Cœur, pour nombre de personnes qui ont découvert la grande précarité de certains Français. « Cet élan de solidarité va faire réfléchir, continue-t-il. Nous l’espérons car, plus il y a aura de bénévoles, plus nous pourrons aider de bénéficiaires ». Le bénévolat pendant le confinement a été une opportunité pour certains de vivre la rencontre avec les autres autrement. Pour Arnaud Poincelet, c’est le meilleur moyen de faire connaître le projet associatif du Secours Catholique : « L’aide matérielle est une chose, mais notre projet est aussi de transformer la société en un monde plus juste et fraternel, la rencontre et la relation sont au cœur de ce projet ».
Renouvellement à marche forcée
Restos du Cœur, Secours Populaire ou Secours Catholique comptent des dizaines de milliers de bénévoles. En majorité des seniors disponibles pour intervenir en semaine. Lorsque le confinement est instauré le 17 mars 2020, ils font partie de la catégorie des personnes vulnérables, fortement incitées à rester chez elles et à prendre toutes les précautions en cas de déplacement. Le message des associations est alors clair : « Restez chez vous! ». Le Secours Catholique interrompt ses actions pendant une semaine le temps de déterminer les modalités d’action en accord avec les consignes des autorités sanitaires. L’enjeu est de taille : il faut assurer les missions d’urgence, sans mettre en danger ni les bénéficiaires ni les bénévoles, tout en restant cohérent avec le projet associatif. Les anciens bénévoles ont pour consigne de rester chez eux, mais continuent à mener des actions à distance. L’idée est de maintenir le lien par téléphone avec les personnes accompagnées.
Mais le terrain appelle de nouvelles mains. Chaque association part donc en quête de nouveaux bénévoles. Le Secours Catholique ne fait pas d’appel national, mais travaille avec ses antennes locales pour bien identifier les besoins de renfort. Quelques missions sont proposées par les délégations par l’intermédiaire de la Réserve Civique. Entre trois cents et quatre cents nouveaux bénévoles rejoignent ainsi l’association. « Nous avons mis en place un dispositif pour accueillir dans l’urgence de nouveaux bénévoles et leur donner une base de compréhension et de connaissance du Secours Catholique et de son projet associatif », explique Arnaud Poincelet. Le Secours Populaire et les Restos du Cœur font eux le choix d’un appel massif à bénévoles : réseaux sociaux, site Internet, Réserve Civique, etc. Le Secours populaire recrute ainsi cinq mille nouveaux bénévoles et les Restos du Cœur, 10 000…
Entre déception et fidélisation
Encore fallait-il pouvoir mettre à l’ouvrage les bonnes volontés. Chacun reconnaît que des volontaires au bénévolat ont été déçus : capacités d’accueil insuffisantes en fonction des territoires et en raison du confinement, besoins qui ne correspondaient pas à l’offre, manque de main-d’œuvre pour assurer la formation préalable, etc. Mais globalement, l’arrivée des nouveaux bénévoles permet de compenser l’absence de ceux qui sont confinés. Et les missions s’adaptent aussi. Le Secours Catholique revient temporairement à des actions de distribution de chèques-services, les Restos du Cœur orientent les nouveaux bénévoles sur des actions simples comme la préparation de colis repas. Les personnes aidées sont aussi incitées à devenir bénévoles, comme l’explique Bruno Dumas : « Cela nous tient à cœur, car c’est une bonne manière de sortir de la solitude en travaillant en équipe. Cette démarche se fait dans le respect de notre charte du bénévolat. Et l’expérience est souvent positive : c’est une autre forme d’accompagnement, pour retrouver confiance en soi ».
Restent les enjeux pour demain. Adapter l’offre associative à la crise économique et sociale qui s’annonce, mais aussi à l’arrivée de ces nouveaux bénévoles motivés et capables de répondre à d’autres demandes. « La fidélisation des bénévoles vient questionner notre propre organisation et nous entrons maintenant dans une nouvelle phase, estime Arnaud Poincelet. L’enjeu est le suivant : aurons-nous la capacité de nous adapter à ces nouveaux profils, en cohérence avec notre projet associa tif ? Notre délégation en Corse a par exemple commencé à réfléchir à une offre nouvelle en soirée et le week-end autour de la culture ». Pour que perdure l’élan, même déconfiné.
I.A.S.
Article initialement publié en Juin 2020 dans Fundraizine 62.
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