L’entretien de la quinzaine : « Tout le monde a pris conscience qu’il va mourir »
17 juin 2020
L’agence adfinitas publie son troisième « big bench ». Après une enquête sur le parcours de consolidation d’un nouveau donateur digital en 2018 (lire ici notre article) et l’analyse des variations du parcours à la suite d’un premier don en ligne selon trois typologies de donateurs l’an dernier (en savoir plus par là), c’est cette fois aux legs que s’attaque l’agence. 85 annonces presse legs, publiées au cours des 10 dernières années, ont ainsi été passées au crible pour décortiquer les codes en usage, les bonnes et moins bonnes pratiques en la matière. Lancé bien avant la crise actuelle, ce big bench legs pose aussi en creux l’épineuse question : alors que la mort a fait depuis des semaines la Une des médias, touchant particulièrement les personnes âgées, est-ce bien le moment de parler de legs ? Des réponses avec Mathilde Delhaume, Responsable Communication d’adfinitas, qui a piloté le colossal travail.
Pourquoi avoir choisi le sujet des legs ?
Après deux études sur le marketing direct (MD), nous avions envie de nous pencher sur un sujet différent. Nous avons retenu les legs, car nous avions le sentiment que les choses étaient en train d’évoluer, mais aussi parce que les fundraisers qui travaillent sur le sujet ont des méthodes très éloignées du MD. Ils ne peuvent pas se rassurer avec autant d’indicateurs et mènent un travail beaucoup plus qualitatif avec des retours sur investissements très variables. Ils sont aussi dans une temporalité beaucoup plus longue. Entre un premier contact et un legs, il se passe en moyenne 8 ans… pour un montant collecté qui peut aller de quelques dizaines à des centaines de milliers d’euros. Ce travail un peu « à l’aveugle » peut être frustrant, pour les fundraisers et aussi pour les conseils d’administration qui espèrent des retours plus rapides. Dans cette équation, il est souvent difficile d’évaluer son travail.
L’annonce presse est pour cela le bon mètre étalon ?
C’est la base, même si elle ne suffit pas à tout faire ! Elle force à mettre son positionnement en avant, sa promesse « donnant-donnant » au testateur. On y décèle l’offre, la cible, la maturité de l’association… et c’est bien souvent elle le déclencheur d’une démarche de legs. Ensuite c’est la qualité de la relation qui fait avancer les choses.
Comment ces annonces ont-elles évolué ?
Elles étaient auparavant très axées sur les mêmes profils : des femmes âgées, des « seniors matures », survivant à leur mari, isolées, en besoin de relations humaines. Mais on sent que le changement de génération vers les boomers est en cours. Les cibles, les héros mis en avant dans les annonces évoluent pour s’adapter à ces publics qui sont plus actifs sur le digital et n’ont pas les mêmes valeurs et réflexes de communication. Longtemps hégémonique, le coupon retour commence à se compléter de contacts mails, des pages du site Internet. Ces nouvelles cibles ont souvent un geste de legs plus revendiqué, partagé avec leur famille, porté par un couple. Les « héros » qui apparaissent dans les annonces sont donc plus souvent des hommes, des personnes plus jeunes… On sent à travers les annonces que les associations apprennent à ne plus toutes cibler les mêmes personnes.
Avez-vous eu des surprises en menant ce benchmark ?
Quelques-unes ! Par exemple près de la moitié des associations qui ont la reconnaissance d’utilité publique ne le mettent pas en avant dans ces annonces. Dans un contexte de discours legs où le sérieux, la fiabilité, l’engagement à long terme comptent, cela semble étrange de ne pas valoriser cette homologation de l’Etat. Un autre point est le travail qui reste à mener sur la valorisation du contact legs qui incarne l’incitation à la rencontre. C’est un call to action essentiel que peu de structures mettent vraiment bien en scène. Parfois aussi, il n’y a simplement pas de call to action…
Alors que les médias ont beaucoup parlé de mort ces dernières semaines, le moment est-il bien choisi pour parler de legs ?
Un jour on va mourir. On le sait tous, mais cette idée reste longtemps assez abstraite. Et puis à un moment, souvent quand on perd un proche, on réalise deux choses. D’abord qu’on va vraiment, concrètement, mourir. Et ensuite à quel point cela peut être compliqué si l’on n’a pas organisé sa succession. A ce moment-là, cela peut devenir une obsession de mettre les choses en ordre et faire un testament, léguer à une association, apporte alors du soulagement. Pendant cette période de Covid, tout le monde a un peu pris conscience qu’il va mourir. Certaines associations ont eu des pics d’appels, parfois de gens assez jeunes, 30 ou 40 ans, sur les sujets des libéralités. Alors même s’il est difficile de poser un avis 100% tranché dans ce contexte très inédit, je crois que oui, si la communication est juste, il faut le faire. Le legs doit progresser dans les pratiques de diversification de ressources des associations et accompagner le changement de génération.
Un conseil pour se lancer ?
D’abord être réaliste sur les échéances : une campagne menée à la rentrée n’apportera vraisemblablement par un legs d’ici la fin de l’année ! C’est un investissement à long terme. Ensuite, avoir autant que possible une personne dédiée en interne, qui est là pour rester dans le temps aussi, donc en évitant un CDD ou un bénévole. C’est crucial pour le testateur ou l’aspirant testateur d’avoir une personne identifiée, qui est là pour lui, à qui il peut tout confier de sa vie.
Pour tout savoir du Big Bench Legs et le télécharger, rendez-vous par ici.
A lire aussi, l’article de l’European Fundraising Association (en anglais), qui passe en revue l’Europe du legs aux association face au Coronavirus.
Rejoignez la communauté active des fundraisers sur tout le territoire
et boostez votre carrière au service du bien commun !