Bouger les lignes !
26 juin 2025

Ouverture par Jonathan Hude-Dufossé, Président de l’AFF, du 24e Séminaire francophone de la collecte de fonds, qui s’est tenu du 24 au 26 juin 2025.
« Qui bouge les lignes ?
Quand on a préparé cette introduction en souhaitant évidemment faire honneur à notre thématique “bouger les lignes”, nous nous sommes demandés “qui fait bouger les lignes ?”
Quelles sont nos figures d’inspiration qui, par leur idées, par leurs actions, par leur engagement, leur audace ou leur authenticité nous inspirent, nous donnent à penser le monde différemment, nous offrent un regard neuf et de l’espoir dans une période qui en manque parfois tant ?
Il y en a en réalité des dizaines, des centaines, des millions. Militant-es ou activistes, bénévoles, ambassadeurs et ambassadrices de la Paix. Ils et elles sont dans notre quotidien, au coin de la rue ou au creux de votre main sur Instagram ou sur Tiktok (parfois sur LinkedIn), à la TV ou dans votre immeuble et dans nos assos. Ils changent la donne, elles osent, ils et elles bousculent les codes et créent les conditions d’un monde plus viable et plus enviable. Pour nous toutes et tous, et pour les générations à venir.
C’est Latifa Ibn Zatien qui depuis 2012, alors que son fils Imad est assassiné par un terroriste islamiste antisémite, décide de transcender sa douleur et de la convertir en une énergie pour oeuvrer à la paix et rapprocher les jeunesses françaises dans un acte de résilience salvateur. Elle ratisse la France et retisse le lien entre celles et ceux qui ne se connaissent pas ou qui ne reconnaissent plus. Pour désenclaver les quartiers abandonnés par la République et bâtir des ponts plutôt que des murs. Juifs, musulmans, cathos, hindous ou athés, peu importe pourvu que l’on fasse société.
C’est Gisèle Pélicot, qui refuse le huis-clos à ses violeurs et confronte 51 d’entre eux. Elle trace un chemin pour les femmes victimes de violence sexiste et sexuelle, elle leur dit, tête haute et à voix puissante, que nous les croyons et que la honte doit changer de camp. En défendant et en faisant avancer les droits des femmes, comme Olympe de Gouges avant elle ou l’afro-féministe Bell Hooks, c’est la société toute entière qu’elle tire vers le haut. Nous aurons l’honneur de recevoir Anne-Cécile Mailfert, fondatrice et présidente de la Fondation des Femmes en clôture de notre séminaire jeudi.
Faire bouger les lignes, en plus des personnes physiques, c’est aussi le cas de personnes morales. Nos organisations, associations et fondations, nos partenaires s’engagent pour changer les choses, améliorer la marche du monde et engager un changement profond de système et de société.
C’est Nightline, qui améliore la santé mentale des jeunes et permet, par son plaidoyer et ses recommandations informées par la recherche sur ses propres programmes, de faire passer une loi pour en 2022 pour doubler le nombre de psychologues disponibles sur les campus universitaires en France. C’est Banlieues Climat qui donne ou redonne aux populations vulnérables, dans les quartiers populaires, l’accès à un savoir académique, scientifique et les moyens pour faire des premiers concernés dans ces quartiers, une force indispensable et nécessaire de la lutte contre les inégalités environnementales.
Ce sont aussi des entreprises qui se mettent au service d’une société plus juste, plus solidaire, plus écologique en repensant une partie de leur modèle et du partage de la valeur. Nous pouvons évoquer le Crédit Mutuel, qui à travers la création du dividende sociétal en 2023 a décidé de reverser 15% de son résultat annuel net (soit près d’un milliard d’euros en 2 ans) pour des actions solidaires ou environnementales. Mais aussi la MAIF, qui reverse quant à elle désormais 10% de ses bénéfices annuels à des projets de solidarité climatique et de régénération de la biodiversité.
Nous aurons aussi en clôture, aux côtés d’Anne-Cécile Mailfert, l’Opération Le Milliard qui voit les transitions comme enjeu clé de années à venir et nous inspire par sesalliances et nous engage à ne plus faire seuls : collaboration is the new competition, s’unir face aux enjeux. Ou encore #JoinForces, l’initiative portée par Frédéric Bardeau pour faire alliance plutôt que de réinventer la roue.
S’ils et elles nous inspirent et bougent les lignes, ici aussi, dans la salle, chacun à notre niveau, nous faisons bouger les lignes en faveur d’une idée de la société que l’on trouverait plus juste. Alors pour ça, déjà, vous pouvez vous applaudir. Pour l’incroyable travail que vous fournissez au quotidien en donnant les moyens à des utopies de devenir réalité, à des idées de devenir des projets et réparer le monde un jour à la fois.
Bouger les lignes, comment ?
Mais bouger les lignes, c’est aussi s’interroger : quelles lignes bouger ? Et jusqu’à quel point ? Bouger les lignes nécessitent aussi de s’interroger sur nous-mêmes, de faire notre propre inventaire, notre introspection. C’est aussi parfois penser contre soi pour faire avancer les choses, les transformer ou les conforter.
C’est la première fois que nous avons en ouverture de notre séminaire une économiste dont la pensée n’est ni complètement alignée ni complètement orthogonale avec le secteur, Julia Cagé. Et ce n’est pas par hasard, ni par provocation.
Il y a des débats qui traversent nécessairement nos sujets. La philanthropie peut être discutée mais dans une société libérale et capitaliste, la philanthropie et mécénat sont les moins mauvais outils dont nous disposons aujourd’hui pour résorber une partie des inégalités.
Les temps actuels nous poussent nécessairement à interroger la société que nous voulons bâtir et à penser le monde que nous souhaitons voir advenir. Nous savons ce que les associations, les fondations et la philanthropie apportent au monde. Comment elles le construisent, comment elles le transforment, comment elles le réparent.
Mais nous devons nécessairement interroger et refonder notre contrat social tout autant que l’organisation de la société et la redistribution des richesses.
Parce que les associations ne peuvent pas tout, toutes seules.
Parce que la philanthropie, d’abord pensée comme un renforcement de l’action de l’Etat, ne peut pas devenir la variable d’ajustement du gouvernement, du désengagement de la puissance publique et de la baisse de ses financements.
Parce que si l’État demeure le garant de l’intérêt général, la philanthropie ne peut pas en être le dernier rempart et que nous savons qu’il y a un risque pour la démocratie si la seule (grande) philanthropie se substitue aux financements publics.
Particulièrement lorsque l’on voit une certaine philanthropie s’organiser pour un projet de société mortifère, rabougri sur lui-même par endogamie : la philanthropie peut être dangereuse si elle sert des idéologies antidémocratiques.
La philanthropie peut être un outil puissant pour l’innovation sociale, pour l’impact environnemental, pour opérer un changement profond de système et résorber les inégalités. Mais avec de grands pouvoirs, viennent de grandes responsabilités.
Jérôme Kohler dans son dernier essai La main qui donne, propose de réfléchir à un nouveau paradigme où la philanthropie, l’État et l’environnement sont interconnectés pour améliorer la condition des plus pauvres et des communautés minorisées ou marginalisées, préserver l’environnement et protéger les démocraties.
Nous aurons l’occasion, ces trois prochains jours, de réfléchir à toutes ces lignes à bouger. À toutes ces barrières à dépasser — et parfois à décaler. À toutes ces digues à ne pas céder — pour rester fidèles à ce qui nous fonde, et audacieux face à ce qui nous attend.
C’est aussi réaffirmer ce que nous sommes, ce à quoi nous croyons, et ce que nous voulons transmettre. C’est avoir le courage de dire non quand il le faut, et la lucidité de dire oui quand c’est juste.
Bouger les lignes, c’est oser une philanthropie vigilante, exigeante, profondément démocratique. Une philanthropie qui éclaire sans dominer, qui soutient sans se substituer, qui transforme sans abîmer. Une philanthropie qui n’impose pas sa vision du monde, mais qui l’accompagne pour l’améliorer — humblement, radicalement, collectivement.
Bouger les lignes, c’est aussi savoir lire entre elles. Comprendre ce qu’elles racontent de notre société, de ses silences, de ses angles morts. Certaines sont des murs qu’il faut percer, d’autres des frontières à traverser ou redessiner. Il y a des lignes de crête, où l’on avance en équilibre, et des lignes de faille, où tout peut basculer. Et puis il y a ces lignes invisibles, mais bien réelles : celles qui enferment, qui excluent, qui assignent.
Alors, face à l’urgence sociale, à l’injustice environnementale, au repli identitaire ou aux fractures démocratiques dont nous sommes toutes et tous les témoins, nous avons une responsabilité immense en tant que fundraisers : celle de tenir bon, de faire mieux, et de ne jamais faire seuls.
C’est cela, bouger les lignes : C’est refuser le monde tel qu’il est — pour mieux le faire advenir tel qu’il pourrait être. «
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