"Put your money where your mouth is" ont coutume de dire les anglo-saxons. Si le dicton se pratique généralement au figuré, sous l'angle "mettre en pratique ce que l'on prêche", il se décline de plus en plus au sens propre, non plus par le truchement du don mais par la cagnotte en ligne, nouvel outil de mesure de la mobilisation. Aux USA par exemple, en juillet, la cagnotte Facebook lancée pour soutenir la réunion des familles en situation illégale avait collecté plus de 20 millions de dollars (voir notre article). Mais derrière la générosité et la cause, l'engagement financier massif manifestait surtout une mobilisation contre la politique migratoire de Donald Trump.
Les 20 millions de dollars collectés par la cagnotte soutenant la construction du fameux "mur de Trump" sont une goutte d'eau dans le budget nécessaire (plus de 20 ou 25 milliards de dollars selon les estimations). Mais une jauge du soutien au projet. Réponse à cette cagnotte ? Une autre cagnotte, lancée cette fois pour "acheter des échelles afin de permettre aux migrants de passer par dessus le mur" (à voir ici sur GoFundMe) ! Loin de porter une mission sociale bien ficelée, son intitulé farfelu dit tout de sa dimension politique. Et malgré l'incongruité de son intitulé, elle a tout de même réussi à lever 167 000 dollars (sur 100M€ d'euros d'ambition !).
En France aussi, la guerre politique des cagnottes commence à se généraliser. Au printemps dernier, la collecte "solidarité avec les cheminots grévistes" qui avait réuni plus de 1 million d'euros était autant un soutien financier qu'une manifestation du refus de la réforme proposée par l'Etat. En ce début janvier, la cagnotte de soutien au "boxeur de gendarmes" était probablement plus qu'une contribution à des frais de justice : un message de soutien aux Gilets Jaunes... et de validation des plus radicaux d'entre eux.
Close par Leetchi alors qu'elle atteignait les 120 000 euros de contributions, la cagnotte a été largement dénoncée, notamment par Marlène Schiappa. Réponses variées (compilées par l'Indépendant), encore sous forme de cagnottes : "Pour que Schiappa la ferme" ou "J’ai besoin d’argent pour troller Marlène Schiappa". Si celles-ci n'ont rassemblé que quelques euros, ou centaines d'euros, la cagnotte lancée en soutien aux forces de l'ordre a déjà levé plus de 1,4M€ à ce jour. Levé aussi diverses interrogations.
D'abord sur sa légitimité, Eric Morvan, Directeur Général de la Police National affirmant lui-même sur France Inter que la police n'avait "pas besoin de cagnotte". Sur son initiateur, Renaud Muselier, Président LR de la région PACA, qui cautionne l'idée d'une ambition politique de sur-enchère vs la cagnotte du "boxeur de gendarmes". Sur sa rapide escalade aussi et la possibilité d'un "trucage des dons" par l'action de robots, que Leetchi a du démentir fermement (à lire ici sur le site de BFM TV). Dans ce contexte, la cagnotte pour soutenir les familles des deux pompiers décédés (et donc seules véritables victimes au cœur de ces cagnottes) fait presque pâle figure. Son montant global n'est pas affiché sur la page dédiée du site Le Pot Commun mais elle aurait collecté 230 000 euros selon LCI.
Reste la question des plateformes. Interrogées sur l'utilisation des fonds : les destinataires, le remboursement en cas de non atteinte des objectifs de campagne (selon les conditions de chacune). Et surtout, transformées indirectement en outil de pétition, voir sommées de prendre parti dans les polémiques comme Leetchi face au retrait de la cagnotte du "boxeur". Pas certain qu'elles soient préparées à ce nouveau rôle d'arbitre social.