Dons en ligne. À l’heure de la digitalisation, les associations sont amenées à se saisir des nouvelles technologies pour rassembler des donateurs autour de leurs actions. Connaissez-vous le gaming ?

« Chers e-donateurs , à vos jeux ! »… Cette accroche (fictive !) pourrait résu­mer une nouvelle tendance de fundrai­sing. Celle basée sur le gaming et le jeu vidéo, cible de nombreuses associations qui cherchent à élargir les profils de leurs donateurs. « C’est un canal très prometteur qui nous permet de viser une population plus jeune et mieux connectée », confirme Benoît Alain, responsable Dons & Libérali­tés aux Restos du Coeur. L’association créée par Coluche – dont un quart des dons sont générés en ligne (soit 19 millions d’euros) – a d’ailleurs initié en avril 2018 son premier évé­nement caritatif animé et soutenu par des gamers. Nommée « Give a Way », cette opé­ration – menée en collaboration avec l’école Paris Gaming School – a ainsi réuni vingt-quatre influenceurs (joueurs reconnus) pour un tournoi en ligne. « Pendant cinq heures, ils ont rivalisé sur le jeu Fortnite », précise Benoît Alain. Diffusée en direct sur la plateforme Twitch, cette opération a réuni plus de cent cinquante mille internautes, pour la plupart mineurs ou jeunes adultes, lesquels étaient appelés à soutenir les Restos du Coeur. « Les animateurs du tournoi mais aussi les joueurs ont lancé en ligne plusieurs appels aux dons », explique le responsable de l’association. À l’issue de l’opération, 5 000 euros ont été récoltés. « Un montant modeste mais encou­rageant, note le responsable des Restos du Coeur. Même si nous devons encore travailler sur la mécanique de don, nous allons assuré­ment réitérer l’expérience, sans doute début 2019. »

Blockchain

D’autres ONG se lancent pareillement dans le gaming, à l’instar de l’Unicef, qui a lancé en début d’année, avec l’aide de l’agence BETC, une levée de fonds inédite pour les victimes de la guerre en Syrie à base d’une crypto­monnaie, l’ethereum, en utilisant le concept de la blockchain. « Une solution différenciante, selon Le Journal du Geek, adressée et portée par une nouvelle catégorie de donateurs : les quelque sept cent onze millions de gamers dans le monde possédant un ordinateur » et munis d’une puissante carte graphique. L’ob­jectif était de « miner » (1) cette cryptomon­naie en mettant à disposition la puissance de calcul de leurs machines. Une opération qui révolutionne la collecte du don, car les donateurs, souligne la presse spécialisée, « n’ont pas à donner le moindre euro, si ce n’est un peu – beaucoup – d’électricité ». Autre exemple d’opération de gaming solidaire : celle montée par Apprentis d’Auteuil au prin­temps dernier. Pendant douze heures, des streamers renommés (alias Kenny, Tweekz, Trinity…) ont tenté de relever un double défi : remporter la compétition sur plusieurs jeux vidéo et collecter le plus de dons au profit de cette fondation, qui accompagne plus de vingt-sept mille jeunes en difficulté familiale, sociale et scolaire. En 2017, déjà, ZeratoR avait lancé le Z-Event au profit de la Croix- Rouge. Les trente gamers présents ont réussi à réunir près de 490 000 euros avec un pic d’audience à cent dix mille spectateurs.

 Fun et plaisir

L’utilisation des mécanismes du jeu, nou­veau choix « gagnant » du fundraising ? « Les joueurs n’hésitent pas à relayer des informa­tions, à s’investir pour soutenir ce en quoi ils croient ou à faire des dons pour donner nais­sance à des projets qui leur correspondent », analyse-t-on aux Restos du Coeur. Cette gamification permet en tout cas de trouver des modes de collecte inédits et offre de nouveaux horizons aux associations et entre­prises engagées. Les techniques du gaming renforcent en effet, observent les spécia­listes du secteur, l’engagement des dona­teurs. « Dans le jeu, tout ce qui entre dans les mécanismes de don – sens épique, accom­plissement de quelque chose de plus grand que soi, influence sociale – crée un regain de motivation. Le fun, la satisfaction, le plai­sir doivent faire partie du don, aujourd’hui », confirme Thérèse Lemarchand, présidente et cofondatrice du site Commeon, spécialisé dans le mécénat participatif. « Nous sommes passés d’une société qui agissait par devoir et parfois par contrainte à une société qui désor­mais agit par plaisir. » Avec cette immersion du jeu dans le monde du crowdfunding, on touche un plus grand nombre ; pas seulement les gamers mais aussi toutes celles qui ont le jeu en elles, qui aiment jouer. Com­meon a ainsi organisé début 2018 un hacka­thon spécial gaming, en collaboration avec la Fondation EDF et la Web@cademie. Pour cet événement, qui s’est tenu sur trois jours, les huit associations participantes on conçu de nouvelles applications numériques à destination de publics férus de jeux. « C’est finalement le projet CardiGo, de la FondationCoeur et Artères, qui a été retenu par le jury », précise Nathalie Bazoche, chef de projet Culture et Lien social à la Fondation EDF. « Il s’agit d’une application de réalité augmentée qui, sur le modèle de PokemonGo, invite le joueur à chercher et trouver des coeurs à par­tager, monétiser ou échanger contre des bons d’achat auprès de partenaires commerciaux de l’opération ». Un chèque de 15 000 euros a été remis à la fondation lauréate, « ce qui devrait l’aider à finaliser le développement de son application », précise Natalie Bazoche. L’objectif de l’opération était en tout cas « ambitieux », reconnaît-on chez Commeon. « Elle visait à repenser le don et imaginer des solutions digitales et ludiques. Chaque asso­ciation est venue avec des objectifs forts en tête, et l’envie de faire du gaming un véritable levier pour sa collecte ! » Une totale réussite : cet hackathon, premier du genre, pourrait être renouvelé l’an prochain.

(1) Selon Le Journal du Net, le minage d’une crypto-monnaie est une opération qui consiste à valider une transaction en en cryptant les données et à l’enregistrer dans la blockchain.

Pierre Tiessen – Fundraizine 56